(attention ce texte est assez sérieux et pas très drôle)

Vous le savez, la remarque la plus idiote et la plus fréquente que vous entendez quand vous êtes végétarien, c’est « le cri de la carotte », remarque qui contient des variantes pleines d’imagination telles que « as-tu pensé à la souffrance de la salade ? » ou encore «et les poireaux ? faut les tuer aussi ! tu n’as pas honte ? » . En gros, on reproche aux végétariens de ne pas manger d’animaux ET de manger des végétaux.

Il faut commencer par une petite mise au point sur la « souffrance des végétaux » :

-l’existence de la souffrance suppose celle d’un système nerveux. Or, si vous avez dépassé la classe de cinquième, vous savez que les végétaux n’en ont pas.

-Si quelqu’un se soucie réellement de la souffrance des végétaux, il doit absolument devenir végétarien. En effet, la production de viande suppose de nourrir les animaux avec d’importantes quantités de végétaux (environ 10 unités végétales pour une unité de viande). Un végétarien fait donc « souffrir » moins de végétaux qu’un non-végétarien.

-L’idée du respect dû aux végétaux n’est pas inintéressante : en effet, si l’on respectait le règne végétal, on ne détruirait pas la forêt amazonienne pour des intérêts privés, peu importe que les arbres souffrent ou pas. On peut donc considérer que le végétarisme est englobé dans une sorte de « respect global de l’environnement », global parce qu’il comprend aussi bien les hommes que les animaux et les végétaux (telle est ma position en tout cas).

Ceci étant dit, il est intéressant de se concentrer non sur la souffrance réelle ou supposée du végétal, mais sur le fond de la question : que se passe t’il dans la tête d’une personne qui vous dit que les carottes crient ?

1) Observons ces différentes phrases véridiques issues de débats (réels ou virtuels) :

« T’as pensé à la souffrance des carottes ? »
« Et la salade, tu dois bien la couper pour la manger, alors tu la tue aussi ! »
« et le cri des tomates quand t’approches ton couteau, tu l’entends pas ? »
« Le cri de la pauvre carotte qu’on découpe en rondelles, ça t’émeut pas ? »
« Et les petits de la maman carotte qui ne reverront plus jamais leur mère, voilà de quoi vous êtes responsables vous les végétariens »
« la souffrance de la salade, personne ne s’en soucie »
« Vous les végétariens vous êtes des monstres qui mangent des pauvres tomates arrachées à leur famille
Etc.

J’ai corrigé les fautes d’orthographe pour vous livrer ces citations. Néanmoins, j’ai laissé celle-ci telle qu’elle, pour le plaisir de la poésie :

“et un chou fleur c’est un être vivant qu’on as privé de vie plus jamais il ne pourras requeillir de la vigne se doré a soleil pour crée du sucre. Manger sans concession par des homme qui ne font que se reproduire et les détruire un par un. Faite la grève de la faim vous et moi et sauvons la forêt amazonienne ”

J’ai deux observations quant à ces remarques.
Premièrement, observons les aliments qui sont cités. Quasi exclusivement des légumes (ces emmerdeuses de tomates entreront dans cette catégorie pour une fois). Mais quels légumes ? Tomate, salade, carotte principalement, beaucoup plus rarement d’autres légumes (chou-fleur, poireau). Personne ne vous parlera jamais de la souffrance du topinambour, ni de celle du blé, du quinoa ou du fruit du jacquier.

Les personnes qui parlent des souffrances du végétal connaissent donc assez peu de légumes. Or quand on connaît l’intérêt nutritionnel des légumes, on ne peut que se dire que la personne qui se contente de carotte/tomate/salade doit probablement souffrir de carences importantes qui peuvent expliquer de petits dysfonctionnements cérébraux. Ainsi la boucle est bouclée.

Deuxième observation, linguistique cette fois : la phrase est souvent formulée de façon interrogative et culpabilisante. Ainsi, quand une personne dit « T’as pensé à la souffrance des carottes ? », cela signifie ceci : « merde, avec ce que tu me dis, je commence à envisager la souffrance animale. J’y pense. Je me sens coupable. Je dois me déculpabiliser. Je vais culpabiliser l’adversaire pour me déculpabiliser ». Or ceci aboutit exactement à une phrase telle que « T’as pensé à la souffrance des carottes ? » qui est déculpabilisante pour soi et culpabilisante pour l’adversaire végétarien (du moins c’est ce qu’ils croient).

On peut finalement dire que quand le non-végétarien en arrive parler de souffrance des végétaux, ce qui est, vous le savez absolument inévitable, c’est plutôt bon signe car cela signifie qu’il a compris la problématique de la souffrance. Il ne conteste plus le fait que les animaux souffrent, que cette souffrance doit être prise en compte, mais il entre dans un système de pensée infantile du gamin qui se fait prendre la main dans le sac : « y’avait pas que moi m’dame », traduisible en végélangue par « je fais souffrir des animaux, c’est grave, je le sais MAIS toi tu n’es pas parfait puisque tu fais souffrir les végétaux, ouf, ça va mieux, je me sens moins méchant ».

Petit souci cependant : les végétaux, eh bien, ce n’est pas tout à fait comme les animaux.

2) Classification du vivant.

Prenez n’importe quel tableau de classification du vivant (en voici un gracieusement fourni par wikipédia) :

La classification en deux groupes (végétal / animal) a évolué pour aboutir à la constitution des cinq règnes du vivant selon la biologie :
• les procaryotes (archées et eubactéries)
• les protistes (eucaryotes unicellulaires)
• les champignons (eucaryotes multicellulaires, hétérotrophes et absobotrophes)
• les végétaux (eucaryotes multicellulaires)
• les animaux (eucaryotes multicellulaires)

Vous n’avez pas manqué d’observer qu’il n’existe pas de classification « humain (eucaryotes multicellulaires) ». Il faut donc en déduire que l’humain, est scientifiquement classé dans les animaux. Or, c’est là que le bât blesse : l’anti-végétarien n’est pas très scientifique (on l’a déjà vu à propos du système nerveux), donc, il va faire sa propre classification.

«t’es végétarien ?mais t’as pensé au cri de la carotte qu’on découpe en tranches ? » peut se traduire ainsi en langage scientifique « les végétaux et les animaux font partie d’un premier groupe d’eucaryotes multicellulaires, les humains font partie d’un second groupe supérieur d’eucaryotes multicellulaires. »

Mais pourquoi classer au mépris de la science les animaux non-humains dans un groupe qui n’est pas le bon ? Facile. On sait qu’à peu près tout le monde a de la compassion envers les animaux, à un degré variable certes, mais l’empathie envers l’animal (humain ou non humain) est le propre de l’homme, l’absence d’empathie étant par ailleurs signe d’une personnalité psychopathologique de type serial-killer, pervers sadique, etc (et là je suis très sérieuse, ce n’est pas moi qui l’invente).
Donc, notre ami anti-végétarien a bien une certaine empathie pour les animaux, empathie taboue et totalement inavouable à soi même et a fortiori aux autres au risque de passer pour une mauviette. Comment se débarrasser de cette empathie ? Facile : en classant l’animal dans la catégorie « végétaux », puisque le végétal ne souffre pas. Et là, l’anti-végétarien est pris au piège puisque classer l’animal dans la catégorie « qui ne souffre pas=qu’on peut torturer » revient à dire qu’il sait bien que non, les végétaux ne souffrent pas. Le raisonnement « souffrance du végétal »
est donc totalement bancal.

On peut aller plus loin : pour classer l’animal dans la catégorie « végétal », il faut, en plus de lui trouver un point commun avec le végétal, lui dénier tout point commun avec l’humain. Or ceci semble totalement impossible pour un esprit normalement constitué.

Prenez un homme, une vache et une carotte. Avec ces trois éléments, vous devez faire deux groupes cohérents en fonction des points communs de chaque élément avec les autres. Comment est-il possible qu’une personne normale trouve plus de points communs carotte/vache que vache/homme ?
Il faut ignorer la similarité jambes/pattes, museau/nez, il faut ne pas voir les yeux, la peau, il faut ignorer les oreilles et l’existence de tous les organes internes, il faut ne pas voir la capacité de se mouvoir, d’émettre des sons, etc.

Ceci pourrait être le cas si vous aviez en face de vous un débile profond, mais vous remarquez que l’anti-végétarien est par ailleurs (j’insiste sur « par ailleurs ») quelqu’un d’assez normal.

En réalité, ce n’est pas comme ça que le crieur de carottes raisonne. Il semble qu’il ne raisonne pas par rapport à la classification du vivant, mais par rapport à la classification « se mange/ne se mange pas » (si on pousse encore plus loin, ça ne tient pas non plus, puisqu’un chat, un homme ou une merde, ça se mange aussi, bref).

Donc, nous avons traversé des siècles et des siècles d’évolution pour finalement être dirigé par notre estomac, en plus de l’être par notre sexe (pour certains). Voilà qui est peu glorieux pour une espèce qui se prétend supérieure.

3) Aller plus loin dans la classification du vivant.

Tant que nous sommes dans la classification des espèces, j’en profite pour souligner un autre paradoxe.
Si vous êtes végétarien, vous avez aussi entendu maintes fois que « l’homme est un prédateur » (faux, soit dit en passant, l’homme est éventuellement un charognard), ou que « je mange de la viande parce que les lions mangent les gazelles », ou que « les chats qui mangent les souris, tu les engueule pas ».

Etrange, maintenant, l’homme est comparé à l’animal pour justifier son comportement. Il est classé parmi les animaux, contrairement à ce qui se passe dans l’argument de la souffrance végétale. Donc d’un côté, on classe l’homme comme un animal pour justifier un comportement, et d’un autre côté, on classe l’animal parmi les végétaux pour justifier LE MEME COMPORTEMENT.

Pour conclure, je souhaite évoquer l’excellent livre de Charles Patterson « Un Eternel Treblinka ». Dans ce livre l’auteur démontre que pour pouvoir perpétrer des atrocités sur ses semblables, l’humain les abaisse au rang de l’animal afin de se libérer de toute culpabilité. Or si on considère que l’animal est rabaissé au rang du végétal pour pouvoir le maltraiter, on en arrive à une absurdité qui est celle-ci : « si l’humain est comme un animal, et si l’animal est comme un végétal alors l’humain est comme un végétal ».
Je me permets aussi d’observer que le fait de traiter certains groupes humains comme des animaux pour pouvoir les maltraiter est le propre des pires régimes que l’humanité a connu, que penser alors de la personnalité de celui qui traite les animaux comme des végétaux pour pouvoir les maltraiter ?

Voir ici une approche plus humoristique du “cri de la carotte”

Ecouter le cri de la carotte sur “apocalypse”

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